LA PRESSE

Samedi 3 décembre 2005

Célébrer la différence

Par Stéphanie Brody, critique danse


Vous avez jusqu'à demain pour aller applaudir et célébrer le travail des interprètes et des chorégraphes des deux créations de la série Corps atypiques à Tangente, All in an Instant et Le Temps des marguerites. Quelle soirée étonnante !

Baignée d'une magnifique luminosité, All in an Instant pose un regard sur notre incapacité à entrer en contact avec l'autre. La pièce est l'oeuvre de la chorégraphe anglaise Jemima Hoadley et des danseurs de la Compagnie Corpuscule Danse, dirigés par la danseuse tétraplégique France Geoffroy, qui signent ici une pièce intelligente et sensible.

Rejoignent Goeffroy sur scène, Marie-Hélène Bellavance, une danseuse amputée des jambes, deux danseurs dits totalement « mobiles », Stéphanie Vignau et Jean-Sébastien Lourdais, et Isaac Savoie, interprète en langage des signes. Les relations qui se nouent entre ces corps typiques et atypiques sont vraiment surprenantes.

Le fauteuil roulant de Geoffroy et l'absence de jambes de Bellavance, loin d'entraver la danse, donnent naissance non seulement à de nouveaux points de contact et de prises entre les interprètes, mais aussi à de fascinantes gestuelles. Les prothèses de jambes de Bellavance permettent de jouer avec les notions d'équilibre, à la fois physique et mental, et les roues parfaitement mobiles de Goeffroy mettent souvent Lourdais et Vignau au défi d'effectuer des déplacements tout aussi fluides sur deux jambes.

Ici, l'autre on le repousse pour mieux l'attirer. On se cache de lui, en espérant secrètement qu'il nous remarque et qu'il vienne vers nous. On le craint tout en le convoitant de loin. L'autre, c'est aussi celui sur lequel on s'appuie et qui nous empêche de nous écrouler. Et ce n'est pas toujours ceux que l'on croit qui chancellent. Un des multiples temps forts de All in an Instant est sans conteste un magnifique duo entre Lourdais et Bellavance au cours duquel celle-ci enlève tout à coup ses prothèses. Et étonnamment, sans ses jambes artificielles, la charmante jeune femme bouge avec une aisance encore plus grande.

La deuxième pièce au programme est tout aussi surprenante et pleine de fantaisies. Inspiré par la légende de Faust et plus particulièrement par l'opéra de Gounod, Le Temps des marguerites met en vedette deux danseurs et acteurs professionnels, Éric Vincent Carré et Véronique Verhoeven, ainsi que trois interprètes ayant une déficience intellectuelle, Geneviève Dupont-Morin, Jean-François Hupé et Michael Nimbley, qui suivent une formation au centre d'art Les Muses.

Ici l'histoire de Faust, un vieil homme qui a vendu son âme au diable en échange de la jeunesse éternelle et du coeur de la belle Marguerite, se mêle habilement à celle d'une ballerine vieillissante qui lutte désespérément contre le culte de la jeunesse. C'est étonnant de voir la ferveur et le professionnalisme avec lesquels Hupé, Dupont-Morin et Nimbley s'acquittent de leurs rôles. Leur jeu est certes différent, mais il est tout aussi intense et convaincant que celui de leurs collègues, d'autant que Dupont-Morin et Nimbley déclament sans heurts d'assez longs textes en vers. La chorégraphe Menka Nagrani a imprimé un rythme de valse à l'ensemble de la pièce, ce qui ajoute à sa légèreté.

All in an Instant de Corpuscule danse et Le temps des marguerites de Menka Nagrani et Richard Gaulin, jusqu'au 4 décembre à l'Espace Tangente

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